Linge Sale.

Idée directrice :Le 334 de la rue Thomas Disch est un petit immeuble résidentiel dans lequel cohabitent plusieurs voisins. Racontez l’un de ces habitants de l’immeuble. Le contexte était imposé par le premier texte qui le situait au Purgatoire, et l’argot y avait une belle place.


J’le sens bien qu’il me regarde. Il m’épie d’son dernier étage. Pourtant, l’est pas venu pour moi, j’le sais bien. J’ai eu vent qu’c’était pour l’médecin qui créchait là depuis quelques semaines déjà. Enfin, j’sais plus trop combien ça fait qu’il est là. On perd la notion du temps ici bas, enfin dans l’entre deux quoi. On flotte dans l’espace. On flotte dans l’temps. On perd vite pied. On s’habitue, j’crois bien. Des fois, j’regarde l’horloge universelle. D’jà trente années que j’pêche dans le Fleuve. Enfin, j’pêche pas vraiment. C’est ce que pensent les gens, ceux qui s’arrêtent pas m’causer un bout. Ceux qui m’observent du coin de l’œil. M’enfin, j’leur en veux pas. Sont perturbés ceux qu’arrivent ici. Forcément, être mort, ça fout un d’ces chocs ! Non, j’fais rien qu’passer le temps. Et puis pêcher ici, quelle drôle d’idée qu’ils ont là. On pêche déjà assez sur Terre ! Quelle ironie. Fin c’est vrai qu’avec ma canne, ils peuvent se tromper. Mais, j’mets pas d’hameçon sur mon fil. C’est juste pour jouer dans les vagues. J’voudrais certainement pas abîmer les âmes. Personne ne mérite ça. Même les pires criminels. Enfin, ça c’est ce que j’ai appris en restant ici. J’en ai vu du beau monde. Enfin, j’ai surtout vu de sales histoires se terminer au 334 rue Thomas Disch, mais toujours sur un fond de piano bluesy… De bien tristes histoires agrémentées d’une si belle symphonie…

D’ailleurs, ce méd’cin-là, il a une belle gueule mais il a un peu trop abimé celle de son flic dans l’accident. Un peu trop occupés à boire et écouter la musique à fond dans la voiture. Ils avaient l’air de bien s’amuser. Ils riaient aux éclats quelques secondes avant de débarquer ici. Ils sont morts unis. Est-ce une joie de savoir ça ? Est-ce une joie lorsqu’on sait que… Tiens, j’entends un cri de l’autre côté du bâtiment. Elle a dû apprendre qu’elle partirait seule vers la Lumière. C’est le Maître qui doit être content. ‘L a gagné une âme de plus dans son brasier. Le Passeur va devoir passer à l’acte. Il pensait surement qu’il pourrait rester un peu plus, en profiter pour me hanter. Me tenter, mais non. Un esclandre n’est jamais bon par ici. Aussitôt arrivé, aussitôt reparti. Tant mieux. Fin j’aurais bien droit à mon p’tit mot…

Un pas lourd derrière moi. J’pensais pas qu’il s’rait si rapide dis donc…

« Jimmi. J’dois y aller.
– J’te retiens pas. Quitte cet endroit, va faire ton satané boulot.
– On a d’jà parlé d’ça. M’cherche pas des noises. J’l’ai choisi.
– Oui c’est ça. Dis plutôt qu’t’aime bien être son commanditaire. Séparer encore une fois deux âmes sœurs. Tu te venges, j’le sais bien. Et chaque fois, tu m’lances au visage ton sourire narquois. Mais moi, tu m’auras pas. Non, tu m’auras pas. J’resterais là… J’veille. Ca vous fout en l’air que je puisse rester là pas vrai ?
– Jimmi, arrête ton char. Décroche. Prends ta clé et fous l’camp d’ici. Trente ans qu’tu gamberges maintenant.
– Jamais. Cass’toi. Et puis tu sais quoi, emporte-le ton foutu médecin. Emporte-le loin de nous. J’exècre ceux qui lui donnent à boire. Ils la pourrissent de l’intérieur. Salop’rie d’héroïne qui l’a envoyé ici. Salop’rie d’alcool qui la maintient ici.
– Lâche-là. Elle s’fout d’toi. Déjà sur Terre…
– Qu’est-ce t’en sais ? Qu’est-ce tu sais d’ma vie ?
– C’que Maman m’en a dit…
– Rah, ça y est, tu r’mets ça sur l’tapis. Ta mère est jalouse. C’est juste qu’ça la fout en l’air de pas pouvoir nous observer. Mais ta mère, elle n’méritait pas l’Paradis. Non. Elle t’dit bien que c’que tu veux savoir.
– PARL’MOI ALORS ! PARL’MOI ! CAUSE VIEUX CON ! hurla Le Passeur en saisissant le vieux par les bras.
– T’peux bien m’secouer tant qu’tu veux… J’ne rentrerais pas dans vot’ jeu macabre. »

Le Passeur relâcha la tension dans mon bras. Je m’remis sur mon seau, accroupi. L’avantage, c’est qu’j’ne sens pas de rhumatisme. Mort trop jeune. 27 ans. Et l’Purgatoire, si ça n’vous réussit pas, c’est qu’vous faîtes pas bien attention sinon bin ça vous amoche pas et ça vous vieillit pas l’moins du monde. Trente ans après, si j’ai l’air d’un p’tit vieux qui pêche, c’est par choix. Ca évite aux midinettes de s’attarder sur moi et d’se retrouver bloqué dans une éternité. J’me mets d’la grisaille la peau. J’me mets de vieilles sapes, grises, mal ajustées laissées par là. Et ni vu, ni connu, on m’fout la paix. T’façon, j’suis pas là pour courir les jupons. Et puis, l’334, il aide pas bien au romantisme avec son corridor froid et poussiéreux, ses vieilles chambres remplies de moisissures et ses vieilles tentures. J’ai bien arrosé le jardin d’l’autre côté pour que des roses soient cueillies, pour que les odeurs nauséabondes soient balayées mais Janis, elle aime pas bien ça. Elle m’a souvent engueulé à cause d’ça. Elle m’a dit qu’le Flower Power, c’était bien loin. Qu’ça servait à rien d’remuer la merde. J’aime pas trop quand elle parle comme un charr’tier. Elle parlait pas comme ça avant. Elle était plus mélodieuse.

« Eh vous’aut’, z’avez pas fini vos éternelles r’trouvailles ! Pass’Partout, dégage moi c’te carne d’ici sinon j’t’en fous une ! J’ai du monde qu’attend, moi! On chôme pas ici! »

Tiens la v’là…

Et dans mon dos, Le Passeur m’regarde toujours comme un étranger. Faut dire qu’il peut pas trop m’regarder comme un père. J’l’ai pas beaucoup connu. Devait avoir 3-4 ans quand j’ai atterri ici. Final’ment j’l’ai plus connu au Purgatoire qu’en Bas.

C’jour où j’ai quitté la Terre, j’m’en souviendrais toute mon Eternité. Une soirée d’fou. D’la musique en barre. Une sortie entre potes. J’avais un peu trop fumé. Un peu picolé aussi, mais ça allait encore. J’l’ai pas vu arriver c’te déesse. J’l’ai pas vu s’installer devant son piano. J’ai juste entendu quelques notes de blues et j’ai craqué. J’l’avais pas vu, mais j’ai senti sa force. Mon regard s’est tourné comme tous les autres vers c’te beauté. Elle semblait si légère, si douce. Elle nous a emporté vers d’aut’ cieux c’soir-là. J’n’avais d’yeux qu’pour elle. Elle m’hypnotisait. J’ai cru voir un ange. J’répétais qu’ça. J’ai pas senti quand la mère est arrivée dans mon dos. J’l’ai pas entendu dans ses pas de velours. Un vrai chat. Elle a vu mon r’gard. Elle l’a vu et elle a pété un plomb. J’ai essayé d’la calmer mais elle avait raison la pauv’ p’tite. Elle m’parlait d’not gosse. Mais j’pensais plus à tout ça non. J’pensais plus à rien, j’planais grave. Et puis elle s’est calmée. Enfin, j’croyais qu’elle s’était calmée. Elle avait juste fomentée sa vengeance. Elle s’est rapprochée d’ma déesse. Insidieusement. Elle a instillé sa vengeance dans ses veines, dans son âme si pure. Elle  l’a empoisonnée. Elle lui a r’filé sa mauvaise came. J’l’ai su dès l’début. Quand ils l’ont trouvé ma pianiste, inconsciente dans les toilettes du bar, j’l’ai su tout d’suite. Les Pompiers, ils ont rien pu faire pour ma Janis. Et moi, j’suis monté sur le toit du Bar 433. Et j’me suis foutu par dessus bord. D’vant les pompiers. J’ai pas voulu la quitter. C’est pas maint’nant qu’j’vais changer,

« Vieux Tas, ramène-toi ici, j’ai envie d’grailler quelqu’chose.
– Lâch’moi vieille bique ! Arrête d’boire et tu mang’ras mieux »

C’est pas maint’nant qu’j’vais changer, même si c’est d’venu une mégère…

Exprimez-vous sur le sujet...